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Portrait de Poète : Sébastien Minaux






Je commence mon tout premier portrait, une personne pour laquelle j'avais fait un billet de lecture à propos de son dernier recueil "Une épiphanie" disponible aux éditions Gallimard. Sur ce blog j'ai envie de vous partager mon travail, mais aussi mais coups de cœur, mes découvertes. Mon but est de mettre en lumière les poètes d'aujourd'hui, connus ou moins connus, mais qui suscitent mon intérêt. J'espère que vous saurez déceler ce qui me touche à travers eux.



Photo : "Francesca Mantovani, pour Gallimard"


Peux-tu te présenter ?


Je suis né en 1975 en Picardie d’une mère italienne et d’un père français. Je vis et

travaille depuis bientôt quinze ans à La Rochelle.

Après des études à Sciences Po Paris et un mémoire universitaire en sciences

politiques à l’université de Florence, je me suis dirigé vers le journalisme (presse

radiophonique et écrite) avant de choisir la voie de l’enseignement.

J’ai publié au début des années 2000 des nouvelles dans la revue « Brèves » et le

recueil « Regards obliques » (éditions « Le Bruit des autres ») avant de mettre en sommeil

mon travail d’écriture. Je suis revenu en 2017 à mon premier élan, la poésie.


Quels sont tes débuts en poésie ?


Mon premier souvenir remonte à l’enfance et il est un peu douloureux. Mon

institutrice (j’avais alors 8 ou 9 ans) nous reçoit, mes parents et moi, pour faire le point sur

ma scolarité. Au cours de l’entretien, elle montre un poème que j’ai écrit et dit ceci : « Ça

ne peut pas être lui qui l’a écrit. Il l’a copié. » Je suis soufflé par cette accusation sans

preuve et infondée. Je me tais : la brutalité des propos me laisse interdit. Mes parents, tout

à leur respect de la parole institutionnelle, ne questionnent pas son jugement. Je vis une

humiliation d’enfant, à la fois personnelle et sociale.

J’ai quand même continué à écrire, de manière continue et secrète : des histoires,

des bandes dessinées, des poèmes. J’aime être seul, dans le silence, c’est mon refuge.

Les mots sont le lieu où je me sens apaisé. La poésie a joué ce rôle dès l’enfance et

continue encore aujourd’hui à le remplir.

Comme beaucoup d’adolescents, je découvre des figures majeures au lycée :

Hugo, Baudelaire, Rimbaud, Verlaine. La puissance du langage poétique me subjugue.

Mes enseignantes de français me fascinent : j’ai l’impression que coule de l’or au bout de

leurs doigts, au bord de leurs lèvres, quand elles me dévoilent ces textes. Le coup décisif

est porté par mon professeur de lettres en prépa littéraire lorsqu’il nous lit « Anabase » de

Saint-John Perse. Depuis, j’ai toujours ce recueil à portée de main, comme un fétiche.

J’ai continué à écrire des poèmes. Étudiant, j’en ai adressés à des revues, sans

succès. J’ai alors arrêté de les proposer. J’ai gardé ces textes dans mes tiroirs. A vingt-

cinq ans, j’ai publié, sans suite, deux nouvelles en revue.

Une longue période d’engagement associatif et militant a ensuite accaparé mon

temps libre et j’ai mis l’écriture en sommeil. Quand j’y mets un terme, en 2017, je replonge

aussitôt dans l’écriture. Des revues accueillent mes textes, puis les éditions Alcyone

publient mes deux premiers recueils (« Le fruit des saisons » en 2017, « Ombries » en

2020). C’est pendant l’écriture d’ « Ombries » que surgit la matière qui sera la source

d’ « Une épiphanie », mon troisième ouvrage de poésie, le premier publié sous le nom

d’Alexis Bardini, chez Gallimard, en 2021.

Si je signe ce dernier recueil d’un autre nom, c’est pour une raison qui me paraît

aujourd’hui simple mais qui a mis du temps à le devenir. Lorsque la matière qui constitue

les poèmes d’ « Une épiphanie » surgit et commence à travailler en moi, je cherche à lui

donner une forme dans la langue avec laquelle j’ai écrit « Le fruit des saisons » et

« Ombries ». C’est alors que ça coince : les textes boitent, leur musique sonne faux. Je

me retrouve dans une sorte d’impasse. Et je ne finis pas en sortir qu’en m’autorisant à

laisser venir les poèmes autrement, dans une autre langue. Alors tout devient fluide,

comme par enchantement. C’est une expérience déroutante.

Voilà pourquoi, au final, puisque ces textes ont été écrits dans une autre langue,

s’est imposée à moi l’idée de les signer d’un autre nom. Au fond, il s’agit d’accepter que

l’identité, dans l’écriture comme dans le reste de la vie, peut être multiple.





As-tu des rituels d’écriture ?


Je n’ai pas de routine ou de rituel particuliers, si ce n’est que je lis et prends des

notes chaque jour ou presque, comme beaucoup de gens qui écrivent je suppose.

Lorsque l’idée d’un recueil pointe le bout de son nez, je m’y mets tous les matins,

quand la ville et la maison dorment, en me levant vers 5h. Mais c’est toujours très

temporaire : le temps de l’écriture originelle est ramassé. Le travail de cette matière

première prend ensuite plus de temps, se dilate en de nombreuses versions,

recompositions, élagages, ajouts, avec de longs temps de repos entre les différentes

épreuves. J’envoie des extraits à des revues, afin de sonder leur accueil. Je fais lire

l’ensemble à quelques rares personnes. J’ai eu la chance, pour « Une épiphanie », de

rencontrer un éditeur formidable : sa lecture et les nombreux échanges que nous avons

eus m’ont permis d’affiner l’écriture du recueil. Je mesure ma chance : elle est grande.



Où puises-tu tes inspirations ?


Pour le coup, je me range absolument à ce qu’en dit Pierre Michon : « Le roi vient

quand il veut. ». J’ajouterai juste ceci : « Encore faut-il œuvrer à lui dresser une table

accueillante. » Je travaille donc à être disponible pour sa venue, en lisant, en prenant des

notes, en tâchant de demeurer le plus ouvert possible au monde. Jean-Pierre Siméon

parle, à ce sujet, dans son petit pamphlet au titre un brin provocateur « La poésie sauvera

le monde », d’ « hyperesthésie » : je crois que ça correspond très bien à cet état d’accueil,

d’attention au monde.



As-tu des projets en ce moment ?


Je finalise actuellement un recueil. Il y est question d’exil et d’identité.


Un poème dont tu es le plus fier ?


Question épineuse et dont la réponse varie au fil du temps. Mais s’il faut jouer le jeu,

aujourd’hui mercredi 24 novembre, je choisirai celui qui se trouve page 87 d’ « Une

épiphanie » :





Le givre a épaissi ton regard sur le jardin
Tu parles avec l’hiver
Et ta prière au loin replie le jour

Ta voix marque une pause
Une virgule où baille le néant
Ta paume sur la vitre est un regret sans fin


As-tu un recueil de poésie contemporaine à recommander ?


N’importe quel recueil de Christian Viguié. Le dernier, « Damages », paru chez

Rougerie, est bouleversant.







Un compte instagram (ou autre réseau) que tu apprécies particulièrement ?


Il y en a beaucoup. Peut-être le compte de Cécile A. Holdban, sur Instagram, pour

la délicatesse du regard qu’elle pose sur le monde. Mais il y en a vraiment beaucoup

d’autres que j’apprécie ! Le choix est un peu cruel.


Une citation à me donner ?


Cette phrase, qui clôt le discours prononcé par Saint-John Perse lors de la

réception du prix Nobel de littérature en 1960, me revient régulièrement quand je lis des

poèmes qui me touchent :

« Et c’est assez, pour le poète, d’être la mauvaise conscience de son temps. »


Ta vision de la poésie aujourd’hui ?


Définitivement vivante.



Si vous souhaitez écouter l'auteur lire ses poèmes, c'est par ici :




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